Conteuse

Elle, elle voyait les yeux fermés.  Elle connaissait tous les méandres de la nuit. L’oreille si fine qu’elle était capable de déceler dans la voix des autres, la vérité. Et puis, elle comprenait les oiseaux.

Les autres ils faisaient :

Wouaw malgré sa déficience visuelle elle comprend les oiseaux dis.

Rien avoir ! qu’elle a fait.

Ah oui, pardon, c’est pas comme ça qu’il faut dire. « Grâce » à votre déficience visuelle, vous avez l’oreille très fine, comme un sixième sens quoi,  et du coup vous pouvez comprendre les oiseaux !

Ho rien avoir, qu’elle a fait, ho lalalala. La langage des oiseaux, c’est mon père qui me l’a appris. Mon père…Il était pirate. Capable de voir plus loin que n’importe quel homme.  Il était vigie. Toute sa vie il a guetté.  Il n’y avait jamais rien mais il le savait parce qu’il guettait. Toute sa vie il l’a passée en haut d’un mât sur une plateforme.  Et de là-haut, loin, loin loin du bavardage des hommes, il a écouté les oiseaux. Puis il m’a raconté.  Voilà, rien avoir ni avec mes yeux ni avec mes oreilles, ni avec un don d’aucune sorte. Juste une histoire entre un père et une fille. 

Elle, elle vivait dans le royaume où le roi avait l’ouïe si fine que tout son était interdit. Alors tout était écrit. En rouge, en jaune, en vert, en rond, en carré. Alors elle, elle y voyait rien, elle marchait comme ça à tâtons. Puis un jour, paf, elle a foncé dans un poteau.  Elle en a eu marre, elle hurlé :

Waaaaaa mais où suis-je ? C’est par où la rue de la liberté ?

Le poteau, c’était pas un poteau. C’était le gardien du silence. Il a fait :

Chut ! C’est écrit là, là et là. Sur trois panneaux en trois couleurs différentes. Ici la loi c’est : tais-toi. La devise de notre roi.  

Mais j’y vois rien. On pourrait pas parler un peu ? C’est pas fort pratique. C’est pas bien pensé.

La reine, à côté du garde, toujours à l’affût du moindre chant d’oiseau, tant elle aimait la musique, s’approche alors et lui glisse à l’oreille :

Si. C’est très bien pensé. C’est pour que des gens comme toi, qui entendent dans la voix la vérité, ne puissent pas entendre dans la voix du roi sa langue de bois.

Et toutes deux partirent rejoindre celles et ceux qui fuyaient la démence des rois.