Conteuse

Le monde était peuplé de châteaux. Le plus grand château était celui du roi des rois. Au-dessus du château du roi des rois flottait sa devise : efficacité, rapidité, force.  Le roi des rois avait façonné le monde à son image.

Dans la salle du grand château, le roi des rois était assis sur son trône, courbé sous sa couronne. Il buvait dans une coupe d’or, il savourait les derniers instants de son règne. Le lendemain avant le lever du soleil, il désignerait le nouveau roi des rois.

Les tables étaient dressées, couvertes de dentelle blanche et de vaisselle d’or.

Un roi avec une épée à la poignée d’or est entré.  Accompagné d’une reine qui jouait avec un petit couteau d’argent suivi de leur garde qui jonglait avec des bâtons de bois.

Et puis les rois du monde entier sont arrivés, avec leurs reines et leurs gardes, leurs habits couverts de poussière, la poussière d’un long voyage.

Et avec la foule, le murmure a envahi la salle :

Ô vous avez vu le roi des rois ? Comme il est devenu ? Il n’est plus que l’ombre de lui-même. Ô il est lent ! Il est frêle ! Quand on pense qu’il a fait enfermer tous les lents du royaume, y compris parmi les Rois.   

Le roi des rois a levé la main et entre le pouce et l’index il a écrasé un moustique.

Ô le roi des rois est toujours fort, efficace, rapide.

Et les rois se sont courbés devant leur roi.

Ô roi des rois que le monde soit à ton image. Ô roi des rois, toi dont le reflet fait luire la lune. Ô roi des rois, toi qui sais essuyer les quolibets des sots, ceux incapables de comprendre la beauté de ta devise. Et tous identiques n’est-ce pas là le fermant de l’égalité ?

Ô roi des rois tu es le plus grand des rois a dit un roi en poussant sur la tête de sa femme pour qu’elle se penche davantage.

Le roi des rois a claqué des doigts, et les valets sont entrés, rapides, efficaces.  Ils ont déposé des mets sur les tables, et puis ils ont amené les rois et les reines devant leur assiette d’or. Et les rois et les reines ont mangé. Ils ont mangé, ils ont bu. Ils ont mangé, ils ont bu.

Et quand ils ont tout mangé et tout bu, le roi des rois s’est levé, courbé :

Lequel d’entre vous a les qualités pour être le futur roi des rois ? Lequel d’entre vous façonnera le monde à son image ?  Je vous écoute.

Le premier roi qui s’est levé était un roi boiteux :

Chez moi tout le monde boite, c’est pas compliqué il suffit de leur tordre le pied.

Mais c’est triché, mais c’est vraiment triché…

Et puis il y a un roi qui s’est levé il avait la main sur l’oreille :

Moi, j’ai l’oreille délicate, chez moi c’est « tais-toi ».  Même les oiseaux se sont tus. D’ailleurs ici je trouve qu’il y a beaucoup de bruit.  

Voilà qu’il veut faire taire les rois. Quand même ça ça ne va pas, il ne va pas faire taire les rois.

Et puis, il y a un roi qui s’est levé, tout droit :

Chez moi on marche au pas, tout droit, les bras le long du corps, comme marchent la reine et moi. Ha les jours de mon anniversaire on peut danser comme dansent la reine et moi.  Les bras le long du corps avec interdiction de montrer la plante du pied.

Oh lala il est faible. Ses sujets peuvent danser vous vous rendez compte ? Ah ah ah

Et puis, le roi avec son épée à la poignée d’or s‘est levé :

Moi, je sculpte les corps de mes sujets.  Les femmes sont rondes, lisses, les hommes sont carrés tout en poils. Je fais valser mes sujets au bout de mon épée comme je fais valser ma femme ».  À côté la reine a blêmi.

Ce sont des monstres, ce sont des monstres, ont murmuré les gardes au fond de la salle, et ces monstres sont nos rois.

Et les rois ont parlé toute la nuit. Tour à tour.

Le roi des rois écoutait attentivement. Et au matin, avant le lever de soleil, le roi des rois a tendu sa coupe d’or, on lui a servi du vin, c’est comme ça qu’il délibérerait avec lui-même. Et il a désigné le roi agile, comme futur roi des rois.  Faut dire qu’il avait impressionné avec sa capacité à se jouer des corps, mais surtout des esprits.

Le roi agile a sorti son épée avec la poignée d’or, il a fait un triple salto arrière.

Le roi des rois a retiré sa couronne d’or. Il a déposé la couronne sur le trône. Et puis, courbé, légèrement aviné, dans l’indifférence générale, il a quitté la salle pour aller là où petit à petit, même lui finirait par ne plus se ressembler du tout.

Le monde était peuplé de châteaux. Et entre les châteaux, sur les routes, erraient ceux et celles qui ne ressemblaient à aucun roi.