Esenca | 15 décembre 2010

Andrée Maes et Gisèle Marlière. Deux pionnières dans la défense des personnes handicapées. Deux regards sur l’évolution des mentalités vis-à-vis des moins valides. Leurs combats et leurs expériences, ces deux femmes d’engagement ont souhaité les rassembler dans un livre-entretien. Au-delà de leurs différences politiques et philosophiques, elles témoignent d’une lutte commune pour améliorer la situation des handicapés en Belgique. Une situation qui a évolué favorablement ces dernières décennies. Même s’il reste du chemin à parcourir sur le double plan des mentalités et des moyens financiers.

Pour les deux auteurs, la personne handicapée est souvent victime de préjugés, de stéréotypes. Le grand public porte sur elle un regard particulier qui la fige dans sa limite. Le handicap fait peur et dérange. Surtout dans une société comme la nôtre, basée sur la performance et le paraître. Or, le handicap est une différence parmi d’autres, comme l’est par exemple la couleur de la peau. Il n’empêche pas un individu d’être une personne à part entière, un citoyen du  monde.  Mais, comme le souligne Andrée Maes, elle-même accidentée de la vie, il faut éviter de verser dans  l’angélisme et de faire comme si le handicap n’existait pas. La tolérance implique le respect de la différence et non sa négation. Cette différence conduit à un rapport social spécifique et ne peut en aucun
cas justifier une discrimination.

Et pourtant, combien d’obstacles ne se dressent-ils pas encore aujourd’hui sur le chemin de l’intégration des moins-valides ? Citons un secteur clé: l’emploi. Le législateur belge a fixé à 3 % le quota d’emplois réservés aux personnes handicapées dans les services publics. Cette norme est loin d’être respectée. Un constat qui pourrait faire croire à un immobilisme de notre société à l’égard des handicapés. Il n’en est rien. Des progrès incontestables ont en effet été réalisés dans le domaine en Belgique.

Les lois et réglementations favorables aux moins-valides se sont multipliées depuis les années soixante. Des acquis ont été obtenus sous l’impulsion, notamment, d’associations de défense des personnes handicapées comme celles d’Andrée Maes et de Gisèle Marlière. L’une appartenant au monde chrétien, l’autre au monde socialiste.

Ensemble, elles ont déjà remporté plusieurs victoires, devant même convaincre dans leurs milieux respectifs. Tel fut le cas lors de la création de la Fédération Multisports Adaptée qu’elles fondèrent pour mettre la pratique sportive à la portée de toute personne handicapée.  D’autres ASBL furent ensuite mises sur pied par ces deux organisations sociales pour mener des actions communes dans d’autres domaines. Un rôle d’aiguillon qui a incontestablement porté ses fruits.
Dans leur échange de points de vue, les deux dirigeantes se rejoignent pour regretter le comportement relativement passif de certaines personnes handicapées elles-mêmes. Représentant un peu plus de 10 % de la population, celles-ci manquent parfois d’engagement dans des actions collectives et dans des associations. Elles se replient alors sur elles et se confinent dans une position d’assistés. Une attitude « négative » qui prête le flanc à la critique et qui peut constituer un frein au développement d’une politique volontariste à leur égard.

Andrée Maes et Gisèle Marlière mettent en exergue le système belge de protection sociale. Mais les temps deviennent plus durs et peuvent inciter les  responsables politiques à réduire la voilure. Un risque de dualisation de la sécurité sociale n’est donc pas à exclure. Un défi majeur sera également à relever : il
concerne la prise en charge financière par notre société de maladies graves et de handicaps sévères.

En conclusion, ce livre constitue un triple appel. Appel à la vigilance en cette époque de restrictions. Appel, aussi, à moins de frilosité dans le chef des personnes handicapées. Appel, enfin, à poursuivre sur la voie de la tolérance et de la solidarité à l’égard de personnes qu’autrefois on laissait sur le bord du chemin.

Philippe Pierre
Journaliste Le Soir