Est-ce que la campagne que nous menons cette année vous parle ?

Oui beaucoup.  Moi je peux déjà vous faire un témoignage de ce que j’ai vécu juste avant le corona. Mon abonnement Pairi Daiza est un abonnement PMR. Je suis debout. Donc j’ai un charmant petit étudiant qui m’a refusé l’entrée parce que pour lui, je fraudais. Parce que j’étais sur mes deux jambes. Et donc j’ai du justifier, sortir mes papiers, ma justification de la mutuelle comme quoi j’étais en invalidité, que j’avais un syndrome et tout ça. J’avais à l’époque encore un certificat médical de ma neurologue, j’ai du le montrer à un gamin de 18 ans. Et finalement je me suis énervée et j’ai eu une partie de la direction qui est arrivée parce que je trouvais ça inadmissible. Me justifier dans la file pour rentrer à Pairi Daiza c’était horrible. Me justifier dans un bureau, bon, j’aurais pu encore dire quoi. Mais, voilà. Si le papier il est fait et si vous avez montré la preuve en faisant votre abonnement je vois pas pourquoi un gamin vient me dire « Madame vous pouvez pas rentrer ». Sur base que j’étais, ce jour-là, sur mes deux jambes sans ma canne. Pour eux, on ne peut pas être handicapée si on a pas quelque chose en plus. C’est humiliant sur le fond. Et c’est très blessant. Parce que devoir se battre tout pour cette reconnaissance. Déjà ça faisait des années que je me battais et puis je me retrouve encore jugée. Mon fils était avec moi. Il était extrêmement choqué. Il avait 15 ans et il me dit « m’enfin, maman, c’est quoi ça. Moi, en tant qu’étudiant, j’aurais jamais osé demander quoi que ce soit ». Après j’ai eu droit à un contact sur internet avec le Directeur parce que ça avait fait un vrai scandale. Il y avait les gens qui se mettaient autour de nous. Qui étaient pour, qui étaient contre. C’était incroyable. Il y avait les râleurs derrière parce que je ralentissais la file. Il y a les gens qui trouvaient ça honteux qu’on m’ait demandé ça. J’oublierai jamais ce jour là. Et Pairi Daiza j’y ai plus remis les pieds.

Me mettre sur une place handicapée, je le fais même rarement de moi-même quand je me sens bien parce que je me dis qu’il y a des personnes qui en ont plus besoin que moi. Je me mets même pas sur ces places-là. Et j’ai déjà eu en sortant de ma voiture « Ah regarde, après nous on viendra nous dire quelque chose parce que nous on se mettrait sur ces places-là. Et elle, elle a rien ». Ca me fait bondir ces réactions-là. Quand on ne connait pas la personne, on ne peut pas se permettre de juger. Ce n’est pas parce que je ne sors pas une chaise roulante de ma voiture que je n’ai pas un problème qui ne justifie pas une carte.

Il y a eu un autre cas, mais là ça a été plus violent. C’est mon mari qui est sorti de la voiture. Je me gare sur une place PMR. Je sors de la voiture. Mon mari n’était pas encore sorti. Il y a un homme qui est arrivé avec sa carte PMR et m’a dit « Madame, dégagez, c’est ma place ».Et je dis « mais non, moi aussi, j’ai une carte ». « mais non, dégagez, c’est ma place. Vous êtes debout vous avez pas besoin de la place. Dégagez ». Et là mon mari est sorti en disant « m’enfin monsieur. Il y en a une à côté, vous pouvez vous garer à côté ». Même entre handicapés, il y a des fois, il y a des incompréhensions, c’est horrible. Après on a vu que ce monsieur sortait un fauteuil. Ok. Il a le droit, mais je le droit aussi. On ne m’a pas donné la carte comme ça. Alors je veux bien qu’il y ait des fraudeurs hein. Il y en a eu beaucoup. Il y a eu beaucoup de problèmes.  Je peux comprendre que des fois les médecins conseils des mutualités, ils en ont marre parce qu’ils en voient des vertes et des pas mures. Mais souvent on paie pour ces gens.

Mon syndrome de Guillain-Barré et mon deuxième syndrome de Gougerot-Sjögren, les ¾ des médecins que je vois ne les connaissent pas. J’ai déjà eu des neurologues français qui m’ont téléphoné pour que j’explique ce qui se passe dans un corps humain, pour que j’explique mes symptômes profondément, pour qu’ils puissent comprendre qu’ils avaient un guilain barré devant eux. C’est assez hallucinant. Mon frère est médecin, ma belle sœur est médecin, mon frère m’a dit «  moi le guilain barré c’est 3 phrases sur mes 9 ans d’études ». Le de Gougerot-Sjögren n’es parlons même pas il n’en avait jamais entendu parler.

Pouvez-vous nous expliquer ces maladies ?

Le Guillain-Barré  a ouvert la porte à l’autre. Souvent ce sont des maladies secondaires. Elles sont en dormance et souvent quand l’une arrive elle ouvre la porte à la seconde. Tout est lié. Une fois qu’on a eu un Guillain-Barré  l’immunité elle est bazardée et vous avez plein de petits problèmes qui peuvent arriver. Alors que si vous étiez en bonne santé. Ca n’arrive pas. J’ai des séquelles du Guillain-Barré  qui se mélangent avec le nouveau syndrome que j’ai qui a été reconnu ici en 2020.

Vous avez une grande responsabilité d’expertise alors ?

C’est ce qu’on essaie de bien faire comprendre aux gens qui rentrent dans notre groupe. C’est que justement nous ne sommes pas médecins. Quand on a posé les questions avec les vaccins et tout ça, on a contacté des spécialistes, on a demandé des études pour que les gens puissent se faire leur idée. Je peux pas aller dire « toi fais ton vaccin parce que tu as eu le même style de syndrome que moi. Ca a commencé comme moi donc tu peux le faire ».  Je peux pas me permettre de faire ça. On se retranche quand même toujours derrière le fait qu’on est pas médecin. Et qu’il faut toujours prendre contact avec les centres spécialisés. On conseille mais toujours en donnant la route qu’il faut suivre pour avoir d’autres conseils médicaux. Sur le groupe on a vraiment 600-700 personnes Guillain-Barré  qui ont été malades. Il y aura 600-700 cas différents. Il y en a pas un qui se ressemble. Le déclenchement peut se ressembler mais vous n’allez pas, peut-être récupérer votre jambe gauche, l’autre ce sera la jambe droite. Tout est différent. Vous pouvez avoir des Guillain-Barré  extrêmement légers et des Guillain-Barré  où vous vous retrouvez paralysé à l’hôpital pendant des mois aux soins intensifs. Il y a des Guillain-Barré  chroniques aussi. Où vous devez faire des séances de gammaglobuline à peu près toutes les 6 à 8 semaines. Sinon vous recommencez à vous paralyser et ainsi de suite.

Le Guillain-Barré c’est le petit frère de la sclérose en plaques. Ca fonctionne à peu près pareil. À un moment dans votre vie, vos anticorps se retournent contre vous. Il y a une maladie, la vaccination, un médicament, etc ca peut être plein de petites choses qui déclenchent une réaction. Vos anticorps se retournent sur la myéline de vos nerfs. Rongent la myéline et les informations ne passent plus. Alors ca dépend quelle partie de la myéline est rongée, quel nerf. Ca peut se traduite par un simple fourmillement dans les jambes, dans les doigts etc à une paralysie totale. C’est ce qu’il m’est arrivé. En 4 jours j’étais paralysée jusqu’au cou. Vous ne sentez plus rien. Et au contraire votre corps vous fait très très mal. Il faut s’imaginer un fil électrique dénudé. L’information elle part partout. Une information qui dirait « bouge ton orteil » elle va passer dans toute la peau et tout ce qui s’en suit et vous ressentez des brulures. Il y a des gens qui arrêtent de respirer parce qu’une fois que ca touche le diaphragme vous vous bloquez complètement. Moi j’ai toujours eu de la chance. Je n’ai jamais été jusqu’à ce stade-là ; j’ai toujours respiré seule. D’autres ont passé 4 mois en soins intensifs dans le coma parce qu’ils ont du les mettre sous respirateur. Il m’a fallu à peu près 9 mois pour remarcher. À l’époque, donc ca fait 15 ans que j’ai mon Guillain-Barré , on parlait pas des centres de revalidation comme on le fait maintenant. J’ai fait ma revalidation à la maison. Et donc il a fallu 9 mois d’un kiné qui venait tous les jours, qui me soutenait, qui essayait de me faire marcher. J’ai d’abord eu le fauteuil, puis la tribune, puis une béquille de chaque côté, puis ca a été la canne. Puis tout doucement en essayant de me tenir aux meubles en essayant de me déplacer dans la maison. Et j’ai réappris à marche comme ça. D’autres il a fallu plus d’un an pour se remettre debout. Vous avez des gens qui se remettent jamais debout et qui sont en fauteuil.

Les symptômes sont moteurs, sensitifs. Une de mes séquelles c’est que je ne sens ni le chaud ni le froid. Donc marcher sur du sable chaud je ne le sens pas. Les pouces sont déjà passés dans l’eau bouillante parce que je veux prendre une casserole, vider les pâtes et je me rends pas compte qu’il y a un peu d’eau qui passe sur mes doigts. La partie supérieure des mains c’est encore endormi et j’ai jamais récupéré en 15 ans. J’ai des douleurs neuropathiques quand la fatigue vient s’en mêler. Ca c’est un symptôme que tout le monde a c’est la fatigue. Et la fatigabilité, on garde ça. Vous pouvez demander à n’importe quel Guillain-Barré e fatigués. Une chose qu’on aura pas l’habitude de faire elle va nous casser pendant plusieurs jours. La neuropathie il y a des gens qui l’ont, d’autres qui l’ont pas. Les sensibilités, ça dépend de ce que vous avez récupéré ou pas. Les traitements c’est très bien mais ça a  des effets secondaires aussi comme ouvrir la porte à de nouveaux syndromes. En plus pour les avoir, c’est quelque chose. Je me souviens du neurologue qui est arrivé dans ma chambre d’hôpital et qui a dit «  on a le traitement pour vous soigner mais je ne sais pas si vous pourrez vous le payer ». À l’époque c’était comme ça. Parce que c’était pas pris en charge par la mutuelle. Vous êtes en train de vous paralyser c’est très choquant d’entendre une phrase pareille. Quand je suis rentrée dans l’association on était à 6 pour 100.000. On a doublé ici, on est à 12 pour 100.000. Les cas on les comprend mieux mais il y a toujours un problème de reconnaissance.

La reconnaissance reste compliquée dans certains hôpitaux. Quand on met des flyers, ils disparaissent soudainement. Les hôpitaux ne reconnaissent pas notre regroupement de patients parce que nous ne sommes pas une asbl. Pour être entendus , nous devons nous mettre « sous l’aile » d’autres asbl.

Est-ce qu’il existe une errance médicale ?

J’ai été vaccinée en novembre 2006. J’ai commencé à avoir des migraines. J’ai passé Noël. Je devais faire le repas de Noël parce que j’avais invité ma famille. Moi qui adore cuisiner, je pourrais passer des heures en cuisine, ce jour-là j’ai vraiment eu beaucoup de mal. Beaucoup de mal à terminer mon repas, à remettre mes idées bien en place. Ca n’allait pas. Et puis le 31 décembre j’ai dormi toute la journée. Le 1er janvier mon mari a commencé à s’inquiéter il me dit « t’es toute pâle, t’as pas l’air bien ». Je luis dit que oui j’ai super mal partout, j’ai l’impression d’avoir la grippe. Mon médecin traitant trouvait ça aussi bizarre mes symptômes il m’a envoyé passer d’abord une radio parce qu’il pensait que c’était les articulations qui faisaient mal. Puis au bout de quelques jours je lui demande de revenir parce que je suis vraiment pas bien. Et j’ai de plus en plus de mal à mettre mes idées en place, à parler. Il me fait un papier et m’envoie faire un scanner pour voir si j’ai pas fait une petite thrombose ou quelque chose comme ça. Jusque là je marchais encore, péniblement, mais je marchais encore. Je me souviendrai toujours : j’ai voulu descendre la voiture pour aller au scanner et je me suis effondrée en sortant de la voiture. Mes jambes m’ont lâchée. Là vous vous posez des questions. Je me suis péniblement relevée. J’ai marché péniblement jusqu’au scanner. Mon Mari a pris un fauteuil roulant pour que ca aille plus vite pour arriver au scanner. Le Scanner ne montre rien. Je me souviendrai toujours de ce long couloir du scanner et je dis « j’y arrive plus. C’est tout blanc. Je sais pas qu’est-ce qui se passe ». J’étais vraiment pas bien. On a retéléphoné dans l’hôpital à mon médecin traitant qui a dit « écoute tu me fais penser à quelque chose que j’ai déjà vu ». Parce que j’ai eu la chance qu’il ait déjà vu un Guillain-Barré avant moi. Et il a dit « bouge pas, on t’hospitalise, j’arrive ». Je suis rentrée en urgence. Entre le moment du scanner et de la ponction lombaire deux heures plus tard, je me suis paralysée complètement. Je savais plus parler, j’avais une paralysie du visage, il y avait plus qu’une moitié de visage qui fonctionnait. Je me souviens avoir eu cette ponction lombaire. Le neurologue qui m’a suivie après a dit « Ecoutez c’est un syndrome de Guillain-Barré. On va vous hospitaliser. On va faire venir le traitement ». Et je me suis retrouvée dans cette chambre à attendre mon traitement. Avec des symptômes divers. Des douleurs atroces. Des hallucinations. J’étais persuadée que l’infirmière qui était là la journée voulait me tuer. Ce sont des choses dont je me souviens absolument pas. C’est mon mari qui m’a raconté tout ça.

Puis il y avait la souffrance de pas pouvoir raconter à mes proches ce que je ressentais à l’intérieur. Parce qu’il y avait ce manque de communication. Je savais pas très très bien parler. Et la souffrance de mes proches qui ne savaient pas très bien ce qu’il m’arrivait. J’avais un petit garçon de 4 ans qui voulait voir sa maman mais là où j’étais il ne pouvait pas venir. Mon mari qui s’est retrouvé sans sa femme ne sachant pas comment il pouvait m’aider.

C’est la détresse qu’on reçoit sur le groupe. Ce sont des mamans, des papas, parce qu’il y a beaucoup d’enfants aussi qui ont Guillain-Barré  malheureusement. Ou alors des maris, épouses, dont les conjoints sont à l’hôpital et qui nous demandent « qu’est-ce que je peux faire ? qu’est-ce que je dois faire ? qu’est-ce qui arrive ? ».  Parce qu’il y a vraiment une méconnaissance. Et le staff médical, bon je parle pas trop des infirmières parce que ça généralement, elles sont très bienveillantes, mais il n’y a pas d’explications. On vous dit « c’est un Guillain-Barré, on vous donne 5 jours de gammaglobuline ». On vous parle pas ni du comment, ni du pourquoi,  ni d’après. On vous dit pas ce que vous pouvez faire pour aider la personne. Et c’est souvent ce genre de détresse qu’on reçoit au téléphone. Qu’on passe des heures à rassurer. Il faut leur expliquer. Heureusement, depuis 15 ans que je suis dans l’association, je n’ai connu que 3 décès. C’est une maladie qui est très invalidante, on garde des séquelles mais elle est réversible.

Est-ce qu’il y a un sentiment de solitude dans cette maladie ?

Le groupe permet d’avoir des personnes qui ont vécu la même chose, qui savent et qui peuvent nous dire comment ca s’est passé pour elles. Mais même mon frète et ma belle sœur qui sont médecins c’est difficile de comprendre ce que j’ai vécu et de comprendre que ce que j’ai vécu il y a 15 ans me pourrit encore la vie après. J’ai déjà eu des réflexions qui vous choquent comme « M’enfin bouge toi un petit peu tu vas pas me dire que t’es encore fatiguée ». Ben si, voilà, j’ai fêté l’anniversaire des enfants, moi il va falloir une semaine pour m’en remettre toi il faut 3 heures quoi. Je prends un exemple tout à fait autre,  mon mari a toujours été là, il m’a aidée, il fait en sorte que je ne doive plus descendre à la cave, plein de choses, ma maison est aménagée par lui parce qu’il voulait que je puisse vivre bien dans la maison sans devoir prendre le risque de tomber dans les escaliers ou quoi que ce soit. Mais il y a d’autres situations où le mari est parti pendant qu’elle était dans le coma. Donc parfois il y a aussi le psychologique qu’il faut gérer.

Le soutien que peut offrir l’environnement est donc déterminant sur la manière de gérer la maladie ?

 Tout à fait, moi ca m’a fait grandir. Vous savez moi j’étais quelqu’un qui invitait beaucoup, qui faisait la cuisine pour tout le monde. Les amis étaient toujours fourrés à la maison. Quand je suis restée un mois à l’hôpital, j’ai vu mon frère, ma belle sœur, mon mari, ma maman et une seule amie. Les autres, ceux qui tournaient toujours autour de moi et qui seraient toujours soi-disant là, plus personne. Certains avaient peur de la maladie et de me voir dans un état inconnu. Mais d’autres ont plus donné signe de vie parce que je ne pouvais plus sortir, je ne pouvais plus faire les magasins, je ne pouvais plus les inviter, ben vous apprenez la vie dans ces cas-là. C’est une claque. Vous vous demandez pourquoi personne ne prend des nouvelles. Certains sont revenus en disant qu’ils ne voulaient pas exposer leurs enfants à ce genre de chose, etc mais c’est moi qui ne les ai plus laissé revenir à ce moment-là. Je suis institutrice de formation, je n’ai jamais caché à un enfant un fauteuil roulant ou quoique ce soit. Donc je peux pas comprendre ce raisonnement en fait. Mais il me reste quelques proches dont une personne qui est venue faire le relai à l’hôpital avec mon mari.